8h30, il fait encore nuit sur la Patagonie argentine, pourtant nous sommes déjà à bord de l'unique bus journalier qui rejoint Puerto Natales au Chili. Les étoiles cèdent bientôt la place au soleil et à une belle journée. Une fois de plus, que la route est belle... L'immensité, l'espace, aucune habitation mis à part quelques estancias entourées de leurs troupeaux de moutons, quelques guanacos (des lamas sauvages) isolés avec le lago Argentino et les glaciers en toile de fond...
Bientôt le bus quitte la route pour une piste en terre où il s'aventure tout doucement, freinant parfois pour laisser le temps de passer à quelques nandous (petites autruches) égarées. Qu'elles sont étranges, toutes emplumées, à surgir quand on ne les attend pas et à avancer rapidement par bonds successifs ! Les paysages défilent devant nos yeux avides de garder en mémoire chacune de ses images troublantes. Plus nous la parcourons, plus la Patagonie nous émeut et nous émerveille.
Puis d'autres montagnes enneigées apparaîssent sous un ciel toujours aussi pur. Les revoilà ces Andes, montagnes créant cette chaîne immense prenant naissance en Colombie et courrant jusqu'à se noyer non loin du Cap Horn, toile de fond qui nous accompagnera durant une bonne partie de la suite de notre voyage.
Quelques flamands roses volent au dessus des étangs, les couleurs sont toujours aussi irréelles, pastels, comme sorties d'un dessin enfantin. Mais déjà nous quittons l'Argentine, pour quelques semaines tout du moins, et entrons au Chili après une longue file à la douane où chaque sac est fouillé à la recherche de produits frais qu'il est interdit d'emmener avec soi. Peu de temps après, nous débarquons à Puerto Natales, port de 18000 habitants bien situé pour rayonner dans les environs.
Ici les maisons sont toutes en bois et semblent comme montées en carton pâte, de très fines cloisons séparent les chambres sans lumière et mal isolées. Bref, je vous laisse imaginer les hospadajes bon marché que nous avons visité ! Toutefois nous finissons par trouver un lieu un peu plus cher mais chouette, avec l'eau chaude et un énorme chauffage, vraiment pas du luxe vu le froid !
Ici les habitants prennent le temps de nous écouter et de parler doucement, ils nous apparaîssent serviables et sympas alors que nous partons à la pêche aux informations pour visiter demain le parc Torres del Paine. Ce lieu est réputé pour ses nombreux sentiers de randonnées et nous pensions aller y faire des marches (assez simples vu notre niveau) durant deux ou trois jours et dormir en refuge. Mais après avoir discuté avec plusieurs voyageurs qui en reviennent et nous disent qu'ils ont eu froid constamment dans les refuges non chauffés (sans parler de ceux qui ont fait du camping !) et que c'est beau mais au final peu agréable vu le climat actuel, nous changeons nos plans. Ma foi, nous nous contenterons d'une visite classique en une journée !
Le soleil est bien présent à Puerto Natales le lendemain et nous nous dirigeons vers le parc, nous arrêtant tout d'abord à la grotte du Milodón où furent découverts en 1895 les restes presques intacts du Milodón, animal préhistorique qui vivait ici il y a 10000 ans. La visite de cette grotte n'est pas réellement passionnante, par contre la vue sur les environs est chouette.
Le minibus s'arrête dans un petit café au croisement des routes juste au moment où deux gauchos à cheval avancent avec leurs troupeaux et leurs chiens, nous offrant un beau moment. Ils semblent vraiment indépendants et libres à avancer ainsi des kilomètres durant parmi ces lieux isolés, fiers à l'image des anciens gauchos qui vivaient ici en solitaire il n'y a pas si longtemps encore.
Des guanacos, des nandous et l'immensité à perte de vue, la Patagonie est tout aussi belle au Chili qu'en Argentine et nous regrettons de ne pas avoir loué une voiture qui nous aurait permis de nous arrêter plus souvent, ce que le minibus fait rarement. Comme souvent, nous trouvons ces voyages en bus plutôt frustrants car nous ne pouvons pas en sortir à notre gré. Heureusement, le chauffeur marque un long arrêt pour nous permettre d'observer un renard peu farouche.
Les nuages se font plus menaçants, les premières gouttes de pluie tombent et le soleil manque pour mettre en valeur la Lagune Verte près de laquelle nous nous arrêtons. Sa couleur, si inhabituelle pour un lac, en apparaît presque artificielle...
Nous entrons dans le parc mais malheureusement la grisaille puis la pluie nous y accompagneront toute la journée. C'est vraiment dommage car ce parc, classé Réserve de la Biosphère par l'Unesco en 1978, possède des paysages parmi les plus beaux du Chili : lacs, forêts, montagnes, glaciers, steppes, une faune et une flore très diversifiée et des possibilités multiples de randonnées. Les guanacos y règnent en roi, on les dénombre par milliers, et enfin nous pouvons les approcher et non plus les regarder seulement à travers les vitres du bus !
Le parc est composé de plus de 242000 hectares de paysages naturels préservés. En une journée nous n'en aurons bien sûr qu'un vague aperçu mais déjà sa diversité et son étendue nous séduisent. Pourtant nous ne le visitons pas dans les meilleures conditions, le temps se déchaîne, le vent se lève et mieux vaut ne pas s'approcher trop près des cascades de Salto Grande par exemple !
Impossible aujourd'hui de distinguer les trois tours du Paine, montagnes aux formes particulières qui culminent à 2900, 2850 et 2600 m et ont donné leur nom au parc. Nous les devinons mais leurs sommets restent en permanence cachés dans d'épais nuages. Ne nous reste plus qu'à imaginer comme ce lieu doit être beau avec le soleil... Nous déjeûnons près d'un camping presque déserté en cette fin de saison. Quelques intrépides s'y aventurent encore, certains traversant le lac Pehoe pour arriver au refuge de Paine Grande et de là entamer le fameux "W", randonnée très courrue de plusieurs jours qui traverse les plus beaux paysages du parc.
|
Dernière étape pour nous, le glacier Grey. Une petite heure de marche le long du Lago Grey nous permet de nous en approcher. Il pleut, il vente, il neige même par moments, bienvenus en Patagonie où le temps est si changeant et imprévisible ! La plupart des passagers restent dans le bus sauf quelques-uns, comme nous, qui s'hasardent à la marche. Ca vaut vraiment le coup, parmi cette nature déchaînée qui reprend ses droits, ces arbres morts où couchés par le vent pour l'éternité.
Et, clou de la balade, voici le Glacier Grey, bien visible en arrière fond.
Au retour les lacs et points de vue se multiplient. S'il manquait aujourd'hui le soleil et la vue, nous aurons somme toute passé une bonne journée ici.
Il pleut des cordes le lendemain et les vents soufflent en rafales, un temps à ne pas mettre le nez dehors, retourner se coucher et attendre demain que peut-être le soleil revienne... En tout les cas, mieux vaut prévoir quelques jours en plus lorsque l'on voyage en Patagonie pour avoir la possibilité d'attendre le soleil en cas de pluie, fréquente ici (même à la bonne saison). Nous ne regrettons pas notre chambre confortable avec un bon chauffage et la télé en prime !
Comme annoncé, le temps se découvre le jour suivant et nous embarquons pour une croisière d'une journée à destination des glaciers Balmacada et Serrano. En fait, celle-ci s'avèrera assez décevante. Bien sûr, nous savions que ces glaciers seraient incomparables à ceux vu en Argentine mais nous espérions voir des animaux lors des différents arrêts prévus, tout au moins quelques cormorans et condors (courants ici). Les animaux sont sûrement présents mais le bateau ne s'est pas arrêté aux arrêts prévu... pfffff... Franchement, on ne vous conseille pas cette excursion pas si exceptionnelle que cela, surtout au vu du prix demandé (sauf si vous n'allez pas du côté d'El Calafate en Argentine).
Seulement 10 personnes dans le bateau, presque tous chiliens, ça c'est chouette. Nous débutons le trajet (nous naviguerons 3h30 à travers le fjord Ultima Esperanza jusqu'à nous approcher du glacier Serrano) avec un beau lever de soleil et accompagnés par quelques cygnes à col noir.
Puis s'étendent durant plusieurs heures des paysages de côtes escarpées avec les montagnes enneigées en toile de fond.
Nous débarquons enfin pour profiter d'une première vue sur le glacier Serrano, vue qui se mérite aujourd'hui vu la violence des vents ! Et oui, la Patagonie est le seul endroit qui soit sur le passage des vents d'ouest venus de l'Antarctique. Les marins les connaissent bien, surtout ceux naviguant à la hauteur du Cap-Horn, là où les rafales surnommées "tornades des cordillères" prennent parfois par surprise les bateaux de passage. Si nous sommes loin aujourd'hui des 130 ou 150 km/h que les vents atteignent parfois, on croit aisément que les habitants voient parfois les chats voler ! Ces vents violents poussent des masses d'air humide vers le continent, masses qui se déversent ensuite brutalement sur la cordillère des Andes, expliquant qu'il pleut ici 10 fois plus qu'à Paris par exemple !
|
Le glacier Serrano recule chaque jour un peu plus et il faut marcher 30 minutes, marche sympa et beaucoup plus abritée à travers la forêt, pour l'approcher de près. Il semble tout droit tombé du ciel avec son sommet perdu dans les nuages et présente de belles teintes de bleu, même s'il est loin d'être aussi impressionnant que d'autres.
Les vents ont poussé tous les icebergs en direction de la côte, sculptant un paysage étonnant de glace comme prisonnière des terres.
Après un verre de Pisco (boisson nationale du Chili, sorte d'eau-de-vie de raisin) coupée aux glaçons du glacier pour se remettre du froid, le bateau fait demi-tour. Nous distinguons nettement la ligne de partage des eaux, point de rencontre des eaux froides et douces provenant du glacier et des eaux plus chaudes et salées du canal qui refusent de se mélanger et coulent côte à côte. En arrière plan, nous apercevons aujourd'hui les célèbres montagnes du parc Torres del Paine. Nous regrettons vivement de ne pas avoir choisi cette journée dégagée pour nous rendre au parc, mais la météo est si difficile à prévoir ici...
Au moins profitons nous du soleil aujourd'hui, même si le glacier Balmeceda, comme dans une cuvette car encerclé par deux montagnes, est perdu lui aussi dans un épais nuage de brume. En 1958, ce glacier descendait jusqu'à toucher la mer !
Le capitaine file droit devant sans s'arrêter comme prévu pour essayer de voir des condors et cormorans, et sans donner d'explications... empaffé... En revanche nous nous arrêtons bien à l'estancia Perales, un bien bel endroit offrant des paysages bucoliques en bord de mer, reposants. Nous grignottons notre pique-nique en plein air et observons les gauchos à cheval qui rentrent les troupeaux de vaches à grand fracas de coup de fouet et de cris.
Les distances sont immenses ici, le bateau mettra plusieurs heures à rejoindre Puerto Natales. Heureusement le soleil est toujours présent et les paysages arides plutôt chouettes.
Nous rentrons déçus tout de même, mais peut-être est-ce lié au fait qu'après le spectacle du parc des Glaciers en Argentine, il est difficile de s'émerveiller devant ces paysages certes sympas mais vraiment moins troublants et impressionnants.
S'en suit une nouvelle journée de pluie, rien de grave pour nous puisque nous n'avons rien prévu aujourd'hui. Pensant rester plus longtemps au parc Torres del Paine, nous avons reservé notre vol pour Santiago demain seulement, au départ de Punta Arenas, ce qui nous laisse le temps de rattraper notre retard sur ce site et de préparer la suite du voyage.
Puis arrive donc le dernier jour en Patagonie déjà , le dernier trajet en bus à travers des paysages toujours aussi poignants pour rejoindre Punta Arenas (à savoir que cette ville se trouve sous un trou grandissant de la couche d'ozone, fait peu médiatisé, et que lors d'alertes rouges plutôt courantes il est déconseillé de sortir car la peau brûle en 5 minutes d'exposition au soleil... quant au taux de cancer, n'en parlons pas...) d'où nous prenons un vol pour Santiago.
Déjà nous laissons derrière nous la Patagonie... une terre qui nous aura bouleversé, séduit, marqué, surpris... Nous n'en aurons vu qu'une infime partie, il aurait fallu aller aussi à Puerto Madryn (où l'on peut observer baleines et pingouings à certaines périodes de l'année), s'approcher des lacs et montagnes de Bariloche, de la lagune San Raphaël au Chili et de tant d'autres lieux... Cela nous fera un prétexte pour revenir en une période plus propice et y ajouter, un jour, l'Antarctique... Pour le moment, nous emmenons avec nous, dans un coin de notre tête, une parcelle de cette immensité, de cette terre inviolée, de cet espace infini, et la conservons comme un petit coin de paradis dans lequel nous réfugier lorsque nous aurons, plus tard, envie d'évasion et de liberté...