C'est un air de tango dans la tête et la musique au coin des lèvres que nous arrivons à Buenos Aires après 14 h de bus (au lieu des 12 prévues à cause des blocus mis en place par des grévistes sur la route cette nuit), curieux de découvrir cette ville qui donna naissance à la danse la plus sensuelle et troublante qui soit. Cette dernière arriva ici à la fin du dix-neuvième siècle en même temps que les immigrants, à cette époque où le tango se dansait entre hommes seuls, dans une virilité ambigüe et rejetée par les classes bourgeoises, entre hommes bersés par la nostalgie de leur pays et l'espoir de réussite sociale qui leur permit de rencontrer et posséder une femme.
Et cette nostalgie, cette mélancolie, ces rêves, cette époque révolue hante encore les rues de Buenos Aires, notamment celles de certains quartiers où le tango jaillit d'un coup et envahit la rue, même si c'est sous une forme moins spontanée et enfièvrantre qu'auparavant... Aujourd'hui, c'est sûr, le tango n'est plus l'essentiel de cette ville tentaculaire, il y survit seulement sous une forme touristique, dépassé par cette ville caméléon, moderne, développée, ville d'apparence très européenne dans son architecture et les origines de ses habitants.
Ayant beaucoup de temps avant notre prochain vol pour la Patagonie, nous passerons plusieurs jours ici à nous faire une idée de cette capitale de 3 millions d'habitants (14 pour la zone métropolitaine) qui regroupe 75 % des richesses du pays. Durant quelques jours, nous adoptons un rythme cool cool : réveil vers onze heures ou midi, petit déjeûner dans l'un des nombreux cafés bistrots en terrasse, visite des quartiers à pieds pour se laisser imprégner de l'ambiance jusque tard le soir.
Nous voici tout d'abord au centre, quartier proche de l'hôtel où nous logeons. Des grandes avenues, beaucoup de monde dans les rues, des dizaines de bistrots et des terrasses bondées, le bruit incessant de la circulation, des vieux bâtiments de style européen, le dépaysement n'est pas vraiment au rendez-vous ici, on pourrait presque se croire dans une capitale européenne !
Mais le coeur de la ville n'en reste pas moins agréable, au contraire, et révèle autour de la Plaza de Mayo de très beaux bâtiments, souvent écrasant par leur taille.
Non loin se dresse la cathédrale Métropolitana, qui semble peu imposante de l'extérieur mais dévoile un intérieur magnifique. La musique qui y est diffusée rajoute à l'ambiance de recueillement et de dévocion qui y règne, notamment autour du mausolé du général don José San MartÃn, le libérateur de l'Argentine, ou d'autres vierges et saints comme Santo Cristo de Gran Amor, le saint partron des footballeurs !
La Casa de Gobierno, surnommée très justement Casa Rosada, qui abrite le siège du gouvernement, est extrêmement surveillée par les policiers en raison du trouble qui agite la capitale en ce moment, de nombreuses manifestations sociales et grèves se déroulant dans tout le pays depuis trois semaines.
Au gré des rues bordant cette place, nous découvrons une ville grouillante, animée, vivante, où se côtoient superbes bâtiments coloniaux et buildings ultrarécents ! Si le tout crée un mélange un peu déroutant, il fait bon flâner parmi les bâtiments d'époque, superbes, parfois transformés en pharmacies ou en librairies à l'intérieur desquelles s'entreposent depuis des décennies de beaux livres reliés.
Plus tard, nous nous dirigeons vers les quais de Puerto Madero, l'un des quartiers le moins peuplé et comptant parmi les plus riches de Buenos Aires, quartier qui a été complètement réhabilité en 1988 à coup de millions de dollards. Effectivement, difficile en se balladant ici de croire qu'il s'agissait de l'un des lieux les plus désafectés et dangereux de la ville ! Tout y est désormais neuf et clinquant, mais l'ambiance chic branchée et très calme qui y règne ne nous plaisant pas réellement, nous ne nous y attardons pas.
Buenos Aires, c'est un nombre infini de quartiers, un vrai puzzle, un labyrinthe qui nous entraîne chaque jour vers une vision différente et complémentaire de cette mégalopole vivante... Au programme de ce nouvel après-midi, direction l'Obelisco, situé au centre de l'avenue 9 de Julio, l'avenue la plus large du monde avec ses 125 mètres, impressionnant !
Nous y attrapons un taxi (très pratique et bon marché ici) direction le quartier chicos de Recoleta, quartier rassemblant les boutiques de luxe et les bars tendances (aux prix qui flambent !). Au parc Francia s'y tient aujourd'hui un sympathique marché d'artisanat que nous parcourons tout en rejoignant l'église Nuestra-Senora-del-Pilar, qui, au dix-neuvième siècle, servit de refuge aux indiens infidèles au gouvernement.
Autre lieu chargé d'histoire, le cimetière Recoleta, considéré un peu comme le "Père-Lachaise latino-américain". Immense, il abrite des centaines de caveaux de familles tous plus luxueux et imposants les uns que les autres, caveaux recueillant les dépouilles de nombreux personnages célèbres de la ville.
Parmi eux figure le tombeau d'Eva Péron, un lieu émouvant ou de nombreux fidèles viennent se recueillir et déposer des fleurs. Il faut dire que cette femme d'origine plus que modeste, qui fut la femme du président Péron, est devenue et restée par la suite un véritable symbole en Argentine. Révolutionnaire, entière, ne mâchant pas ses mots (elle déclara entre autre : "la violence aux mains du peuple n'est pas la violence, mais la justice"), assoiffée de justice, emblême du peuple, elle consacra toute sa vie à défendre les plus pauvres et combattre l'injustice sociale, convaincant son mari de faire passer d'importantes réformes sociales. Elle mourut d'une leucémie en 1952, âgée de 30 ans à peine.
Boutiques de luxe s'étendent dans tout ce quartier que nous parcourons à pied pour rejoindre le théatre Colón, théâtre qui compte parmi les opéras les plus fastueux du monde. Même si nous ne pouvons entrer à l'intérieur pour cause de travaux, on le croit aisément rien qu'à en voir la façade !
Puis une marée humaine nous encercle subitement, tous les habitants et gens de passage à Buenos Aires semblent s'être donné rendez-vous dans les rues commerçantes que sont Florida, Lavalle ou Corrientes... Que de monde ici, mais l'ambiance est bonne enfant dans ces rues bordées de boutiques, de bars engageants et emplies d'airs de tango qui fusent des magasins de disques qui entretiennent la légende. Au centre, un immense centre commercial détonne par son architecture. Boutiques et restaurants s'étendent à l'intérieur de ce superbe monument de style européen vraiment réussi avec son immense coupole ornée de fresques qui tranchent avec le style de l'endroit. Surprenant !
Café croissant en terrasse sous un temps sublime ce matin, le top... Puis direction la Boca, sûrement le quartier le plus kitch, coloré, chargé d'histoire, surprenant, intéressant et touristique de la ville !!! Sur quelques rues à peine s'étendent des façades peintes de toutes les couleurs, les plus flashs qui soient, sans soucis apparent de l'effet d'ensemble. Et, paradoxalement, c'est grâce à cela qu'il s'en dégage un charme bohème étrange, une impression de vie dans un quartier très pauvre, une harmonie parmi le confusion apparente... Malheureusement, l'esprit qui devait règner ici a disparu, l'endroit est aujourd'hui envahi de centaines de touristes et de magasins de souvenirs à foison, et, dans un si petit espace, on se sent presque oppréssés.
Ne reste plus qu'à faire abstraction de cela et imaginer... Imaginer la fièvre qui a dû régner ici à l'époque où tous les habitants de ce quartier très pauvre, portés par le peintre Quinquela MartÃn qui grandit ici, décidèrent de peindre les murs d'une nouvelle école pour la rendre moins triste. Chacun amena un vieux fond de peinture, personne n'avait la même couleur, mais l'important etait là , mettre de la couleur et avec elle amener de la joie dans ce quartier insalubre et misérable.
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Ainsi les couleurs prirent vie, chacun y allant de son coup de pinceau. Puis les habitants, aimant le résultat, se mirent ensuite à peindre leurs maisons de bois et de tôle, et la rue Caminito s'emplit ainsi d'une gaieté naïve qui aida à combattre la tristesse quotidienne. Dans les années 1970, les habitants de ce quartier reçurent l'autorisation de montrer leurs oeuvres artistiques dans la rue, et leur talent et l'histoire de ce quartier particulier entraîna ici de plus en plus de monde.
La rue Caminito est aujourd'hui envahie de monde, comme tous les jours. N'empêche, le charme est toujours là , l'histoire résonne en nous et le tango, s'il est destiné aux touristes, n'en reste pas moins un spectacle envoûtant d'une danse sensuelle ouvrant tous les possibles et offrant toutes les promesses. "Caminito", l'un des airs de tango les plus célèbres qui prit naissance ici, se joue encore et résonne dans les esptrits... Et puis, pour se laisser emporter, il suffit d'observer les danseurs, leurs pieds qui s'entrelacent, les corps qui s'emmêlent et dévoilent tristesse, nostalgie, déchirement, tragédie, frénésie et joie de vivre en un seul mouvement langoureux et qui semble infini...
C'est sûr, l'esprit du tango, cette "pensée triste qui se danse", flotte encore dans Buenos Aires... notamment à San Telmo, le quartier où il vit le jour et où cet art est le plus mis en avant aujourd'hui. Bars plus ou moins informels ou cabarets proposant de véritables shows professionnels s'y côtoient en grand nombre, offrant aux touristes de passages, certainement, un spectable de qualité. Nous hésitons à nous y rendre, allons nous faire une idée en observant les belles devantures de ces célèbres établissements comme le Bar Sur ou l'El Viejo Almacén mais, outre les questions de prix, peut-être préférons-nous garder de cette danse l'image floue, langoureuse et informelle que nous en avons chacun dans nos têtes, et ne pas la figer dans un spectacle, ayant peur peut-être d'être déçus ou que cela ne laisse en nous une image du tango différente de celle que nous voulons en garder...
Pour nous, ce sera donc simplement grâce à l'imagination, au rêve et à la nostalgie, accompagnés par les démonstrations spontanées que nous offrent quelques danseurs dans les rues du quartier de San Telmo, que nous ferons revivre le tango de Buenos Aires...
Argentins et voyageurs se côtoient ici en ce dimanche, jour de la feria de San Telmo, un gigantesque marché au puce. Si ce quartier est celui du tango, c'est aussi celui des antiquaires et des brocanteurs, les nombreux magasins ne nous permettent pas de l'oublier ! L'ambiance est agréable, vivante et animée, invitant à la flânerie sous le soleil et, plus nous découvrons Buenos Aires, plus nous apprenons à apprécier cette ville caméléon.
Le lendemain, journée farniente et consacrée à quelques détails pratiques qui existe toujours en voyage : laverie, internet, préparation de la suite de l'itinéraire, d'un colis... avant de partir les jours suivants à la découverte des environs depuis Retiro, un vieux quartier qui porte décidement bien son nom puisque c'est ici que sont rassemblés les gares routières, ferrovières et les terminaux des ferrys pour l'Uruguay.