Dix heures, c'est parti pour cent km de piste caillouteuse sur la route 40 en direction des Salinas Grandes, deux heures de route à travers les plateaux de la Puna, des paysages montagneux et désertiques où vivent de nombreux lamas et vicunas et quelques rares personnes isolées dans leurs maisons de terre.
Et puis le voilà ce désert de sel, depuis le temps que nous l'attendons ! Certes, on nous a bien prévenus que ces salines étaient incomparables avec celles du Salar d'Uyuni en Bolivie que nous verrons plus tard, mais qu'importe ! De grandes étendues de sel et de terre s'offrent à nous, à presque 4000m d'altitude...
Nous en rêvions depuis longtemps de ces paysages et les avons pour nous seuls, 80 km de désert de sel. Les lieux ont l'air secs, de nombreuses traces de voiture les traversent et nous avons vu sur le net des dizaines de photos de voitures sur ce désert, nous nous aventurons donc un peu plus loin.
Ouais, mauvaise idée... Tout allait bien jusqu'à un énorme "splash"... Oh oh, la voiture s'est enfoncée d'un coup de plusieurs dizaines de centimètres à l'avant, jusqu'à la garde en fait. Et oui, cons de touristes, vous pouvez le dire... Forcément je m'énerve et je jure alors qu'Oliv est déjà en train de s'organiser. Nous récupérons des cartons et journaux dans nos sacs, de la toile de jute plus loin (tiens, nous ne sommes pas les premiers, d'énormes traces de patinage par là ...), du bois et c'est parti pour une après-midi qui semble n'en plus finir...
Creuser à la main dans la glaise pour libérer les roues, glisser cartons et toile de jute dessous pour éviter le patinage, pousser, recommencer à zéro, creuser davantage, essayer d'arrêter des voitures (ouais, euh, pas grand monde, nous sommes très isolés ici et bien loin du côté plus touristique de ce désert de sel...), rien n'y fait et trois heures plus tard nous en sommes au même point sauf que nous sommes épuisés (les efforts à presque 4000m, c'est difficile...), plein de boue, morts de faim et dans une merde noire. Le soleil, la fatigue et la nuit qui promet d'être glaciale à cette altitude et qui approche, cette fois difficile de garder le sens de l'humour...
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Oliv continue tandis que je m'éloigne à pied pour tenter de trouver quelqu'un ou un téléphone. Je finis par tombe sur un motard qui habite dans un petit village pas loin et accepte, contre une petite somme d'argent, de revenir avec son fils, une pelle et des gros sacs de jute. Pendant plus d'une heure, nous creusons, poussons et jurons avec eux, rien n'y fait, nous avons tous de la glaise jusqu'aux genoux mais la voiture ne bouge pas. Comme ils disent, c'est déjà bien qu'elle ne s'enfonce pas plus, il ne manquerait plus que ça...
Au moins nous ne sommes plus seuls et partageons nos dernières bières en attendant des rescousses. Ils vivent non loin et leur travail consiste à extraire le sel de la saline. Il y a 15 jours, ils se sont mis à 14 pour soulever une camionette enlisée également nous disent-ils. Et, moins drôle, deux autres touristes ont mis quatre jours à sortir leur voiture ! Euh, on est pas trop pressés mais pour le coup ça ne nous fait pas trop rire...
Une voiture arrive mais, même en tirant, la voiture ne bouge pas, il faudrait un 4x4. Les locaux retournent voir au village et reviennent nous disent-ils. Les heures passent, la nuit et le froid tombent, personne... Nous enfilons des couches de vêtements, cherchons du bois en prévision d'un feu, sortons les sacs de couchage, inquiets mais prêts à passer la nuit là .
Ouf, enfin, des phares et en route pour le village... Celui-ci est minuscule mais les gens y sont d'une hospitalité incroyable. C'est à qui nous dégote un matelas, deux ou trois couvertures, un oreiller, nous amène vers l'épicière qui nous rouvre son petit magasin... et pour finir on nous ouvre la salle commune du village pour y dormir. Franchement ce sont des moments rares. Evidemment c'est sommaire (vous voulez pas du luxe non plus !) mais c'est énorme et d'une gentillesse à toute épreuve... Jusque tard dans la nuit, nombreux sont les habitants qui mine de rien viennent faire un tour devant notre porte pour échanger quelques sourires et quelques mots, intrigués par la lumière sans doute, avant d'aller raconter la nouvelle au voisin...
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C'est quand le prévisible laisse la place à l'imprévu que le vrai sens du voyage commence dit-on... Oui, malgré la fatigue, l'inquiétude pour la voiture, le froid et l'impossibilité d'aller aux toilettes (déjà il n'y en a pas mais surtout il y a un chien qui garde la porte et menace de nous attaquer si nous sortons... Et merci de ne pas rire, j'aimerais vous y voir !), c'est une expérience unique d'être au milieu des habitants de ce petit village de San José de Pozo Colorado.
La nuit est difficile mais le soleil finit par revenir et nous réchauffe doucement alors que nous repartons vers la voiture avec deux personnes du village le lendemain matin. Ce ne sont pas les mêmes que la veille et nous les sentons moins serviables, ils nous parlent tout de suite prix. Bien sûr c'est normal, nous leur proposons une somme plus que correcte et c'est reparti pour glisser des planches de bois sous la voiture...
On se démène tous pendant plus de deux heures mais impossible, il faudrait plus de matériel et surtout plus de monde pour la soulever. L'un des deux homme en a marre (compréhensible, ça fait 4 fois qu'il perd sa chaussure dans la boue...) et s'en va. Nous demandons au deuxième s'il peut revenir avec le 4x4, des planches et surtout beaucoup plus de monde pour lever la voiture, en lui disant bien qu'on peut payer chaque personne. Ok nous dit-il sauf qu'il revient seul avec de rares planches et sans 4x4... et s'énerve dès que nous faisons signe d'arrêter une voiture.
Apparemment il souhaite vraiment y arriver seul et ainsi gagner plus d'argent (le village est très pauvre) qu'en partageant avec d'autres. Nous le comprenons bien mais avec sa technique de lever la voiture des quatre côtés avec une barre à mine (et oui...) elle a déjà reçu un coup sévère dont il nous faudra payer les réparations, il est déjà bientôt 17h et nous sommes physiquement à bout, ça fait des heures qu'on se démène dans la boue au soleil en sachant pertinnement cela inutile à trois. Nous comprenons pourquoi les autres sont restés quatre jours... et commençons à parler d'appeler une vraie dépanneuse (euh, si ça existe...).
Il nous réaffirme qu'il n'y a personne au village pour venir (alors que plusieurs personnes nous ont proposé leur aide hier !), mais finalement, après avoir parlé de nouveau argent, en cinq minutes ils reviennent à cinq (il n'y avait personne ou pas assez d'argent ?) et à force de pousser et tirer comme des forcenés ça y est, la voiture est sortie, on respire !!!
Nous sommes épuisés mais enfin soulagés, quelle aventure... Certes la voiture est abîmée, on est dans un sale état, quelque peu énervés d'y avoir de nouveau passé la journée alors qu'il suffisait d'une heure à plusieurs, mais qu'est-ce-que ça fait du bien d'être tirés de là , on y croyait plus et on se voyait mal appeler l'agence de location pour leur expliquer la situation !
Si nous avons laissé une forte somme d'argent aux gens d'ici et avons parfois eu le sentiment d'une aide intéressée, il n'en reste pas moins que l'hospitalité de la veille était sincère, certains échanges désinteréssés (les femmes du village, les deux premières personnes qui ont refusé l'argent promis) et que leur aide nous était précieuse... En tout cas nous étions bien contents de les trouver, alors simplement, merci !
Nous nous changeons, respirons et prenons enfin le temps de les voir, ces Salines Grandes...
Il est 16h, nous serons restés bloqués plus de 30h ici... San Antonio de las Cobres est à plus de deux heures de piste, il ne faut pas trainer si nous voulons y arriver avant la nuit, pas trop le temps de profiter des paysages. La voiture est dans un état lamantable, de la boue même à l'intérieur, c'est la cata, sans parler de nos habits complètement troués et chaussures qui ne sont plus qu'un tas de boue, obligés de ressortir les tongues (malgré le froid), ce qui fera bien marrer pendant deux jours les gens que nous croiserons ! Allez, le ridicule ne tue pas...
San Antonio de las Cobres possède des restaurants et des hospedajes bon marché avec de l'eau chaude et même le chauffage, le luxe... Cette fois enfin nous pouvons nous effondrer...