La ville d'Ushuaia sommeille, tout est noir et silencieux à 5h30 du matin alors que nous attendons déjà l'unique bus journalier qui se rend à RÃo Gallegos, la capitale de la région de Santa Cruz, étape obligatoire sur la route d'El Calafate. On se rendort dans ce bus presque vide jusqu'à ce que la lumière du jour nous réveille vers 8h30. Avec elle se dessinent progressivement les paysages de l'île de la Terre de Feu, cette contrée encore presque vierge de toute invasion humaine.
Une unique voie mène en 12h à RÃo Gallegos. Certes, nous aurions pu prendre l'avion et être dès hier soir à El Calafate (à 1h30 de vol) mais le bus a pour avantage de nous faire traverser des paysages révelant le vrai visage de l'île et pas seulement les proches environs des différentes étapes.
Après avoir longé la côte, la route traverse de vastes plaines de steppes désertiques (dans les tons marons/oranges) ponctuées de buissons et touffes d'herbe, d'où émergent parfois montagnes et collines. Immensité où se dessinent quelques étangs près desquels se rassembent de nombreux oiseaux et de rares flamands roses dont la couleur tranche parmi ces paysages désolés.
Dès que nous passons la frontière chiliennne (les deux tiers de l'île se situant dans ce pays) la route cède la place à une piste caillouteuse et les premiers guanacos (espèce de lama) apparaîssent.
Certains pourraient trouver ces paysages lassants et c'est vrai que ces vastes étendues poussent à la nostalgie, voire au recueillement. Ainsi que le décrivait Blaise Cendrars : "il n'y a plus que la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse...". Mélancolie, réflexion et isolement, impression de vide, de solitude, mais jamais d'ennui. Enfin nous mettons des images sur cette contrée du monde tant de fois rêvée avant ce voyage, l'une des destinations que nous attendions le plus et paradoxalement avec le plus d'incertitude quant à ce que nous allions y découvrir. Et c'est bien plus beau que ce que nous avions esperé !
Scotchés à la vitre, la journée passe ainsi à rêvasser, penser, suivre la course des quelques lamas et guetter les flamands roses tout en traversant doucement l'île de la Terre de Feu, archipel habité seulement par quelques rares estancias, ces ranchs isolés qui s'étendent sur des milliers d'hectares où paissent des centaines de moutons.
Puis voici le détroit de Magellan, mer de conquérants, endroit mythique s'il en est : la Terre de Feu prend fin ici... Le bus monte sur le ferry et nous sur le pont, pour quelques instants de liberté totale... Debouts sur le pont, le visage battu par les vents cinglants, nous nous accrochons pour ne pas tanguer, contemplant cette mer déchainée en sachant que nous retiendrons ce moment synonyme d'aventure et de liberté, instants parmi les plus simples du voyage mais aussi les plus poignants, le vrai sens de la découverte...
La revoilà , cette Argentine quittée l'espace de quelques heures, et bientôt nous parvenons à RÃo Gallegos. La plupat des voyageurs repartent pour El Calafate quelques heures plus tard (pour arriver à 1h du matin !) mais nous avons envie de nous reposer et surtout de faire la route de jour pour profiter des paysages, ainsi passons nous la nuit ici.
Le lendemain matin le soleil brille et c'est reparti pour 4h de spectacle à travers les vitres du bus. Les paysages se suivent et se resemblent, toujours aussi vierges et nous y découvrons avec plaisir des guanacos et aussi quelques nandous (sorte de petites autruches) ! Les teintes du ciel sont étranges, passant en un instant d'un noir menaçant au bleu le plus pur, et tout devient magique au moindre rayon de soleil. Le temps change en un éclair ici, dans ces terres où tout est imprévisible et puissant.
Bientôt la neige recouvre les prairies, les moutons broûtent entre les tâches blanches, le ciel se fait pastel et en arrière plan de ces plaines immensément vides apparaît la blancheur des premiers glaciers.
Approchant d'El Calafate, la route redescent. La neige disparait, les paysages redeviennent désertiques. Les champs d'herbe sèche à perte de vue nourissent moutons et guanacos. On adore voir ces lamas, animaux que nous devrions croiser souvent dans la suite de notre voyage !
Puis, alors que nous approchons à grands pas d'El Calafate apparaît le lago Argentino, immense lac d'une couleur bleue splendide. On a rarement vu des paysages faisant naître en nous une telle foule de sentiments et d'émotions sur lesquels il est bien difficile de mettre des mots !
Nous voici arrivés à El Calafate. Le voyage prend fin ici pour quelques jours, ou plutôt tout débute ici puisque les excursions vers les glaciers que nous programmons pour les deux prochains jours, au départ de cette ville bien située, nous offriront des paysages mille fois plus beaux encore (cf. les deux étapes suivantes).